Visiter la centrale hydraulique des Bois, c’est se lancer dans un voyage fantastique dans les entrailles du plus grand glacier de France. Difficile pour les visiteurs de la mer de Glace qui surplombe Chamonix d’imaginer le rituel aussi mystérieux que fascinant qui se trame à 100 m sous leurs pieds. De fait, c’est là, à 1 560 m d’altitude, que l’eau issue de la fonte du glacier est captée pour produire de l’électricité. L’idée est très simple : si la puissance de l’eau tombant du haut d’un barrage peut produire de l’électricité, il n’y a pas de raison pour que celle qui s’écoule du plus grand glacier français jusqu’à la vallée de Chamonix – près de 500 m de dénivelé – ne soit pas en mesure d’en faire autant. Un mètre cube d’eau tombant d’une hauteur de 310 m permet en effet de produire 1 kWh, soit l’alimentation d’un radiateur pendant une heure. L’opération n’en est pas moins extrêmement complexe. Pour accéder au site de captage des eaux, EDF a installé au début des années 1960 un téléphérique privé. À l’intérieur : des cordes, des baudriers et une trappe centrale pour s’échapper en cas d’incident. C’est déjà arrivé. La cabine fait plusieurs rotations quotidiennes entre la centrale des Bois, près de Chamonix, à 1 075 m d’altitude, et le sommet. Il faut encore emprunter 1 kilomètre de galeries souterraines – à vélo – et monter 320 marches, encordé, l’équivalent de 25 étages – avant d’atteindre le point de captage. Toute l’année – à plein régime de mai à octobre -, il recueille l’eau de la fonte, qui jaillit de la glace en jets puissants.
C’est en contrebas, après un long voyage au sein de galeries souterraines, que l’eau dissipe son énergie sur une turbine qui entraîne un alternateur installé dans une cavité souterraine. Avant d’être rejetée dans l’Arveyron. La centrale produit environ 150 millions de kilowattheures par an ; de quoi alimenter 50 000 foyers (soit la vallée de Chamonix) à un coût environ 20 % plus élevé qu’une centrale hydraulique classique.
Las, avec le recul de la mer de Glace, le point de captage d’origine, initialement situé à 1 490 m d’altitude, s’est retrouvé en 2008 à l’air libre et obstrué par des blocs de granit. « EDF a eu du mal à trouver l’eau sous le glacier. Elle a prospecté pour déterminer le talweg (torrent sous-glaciaire). Une fois déterminée la topologie du lit rocheux, de nombreux forages par fonte ont été faits sous le glacier », explique Christian Vincent, chercheur à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE), qui a conseillé l’électricien sur le sujet. Une nouvelle galerie d’environ 1 km a ensuite été creusée pour ouvrir un nouveau point de captage plus en amont, à 600 m des Échelets, où se trouve la grotte de glace, sous le site du Montenvers. D’un coût de 40 millions d’euros, ces travaux qui ont duré trois ans impactent la rentabilité de l’installation. « Au vu de la vitesse de fonte du glacier, ce site de captage devrait se retrouver à son tour à l’air libre entre 2033 et 2040 », estime Christian Vincent. Un nouveau chantier en perspective un jour ? Ou pas…